Depuis quelques mois, je rêve d’un enfant. Je rêve de commencer les essais bébé, je rêve d’avoir un ventre qui s’arrondit, je rêve d’accoucher (oui, même de ça, j’en ai envie !), je rêve d’aménager notre chambre d’amis en chambre d’enfant, je rêve de tenir un mini-nous dans mes bras, je rêve de voir mon mari câliner notre enfant, je rêve d’acheter des mini pyjamas, et ce rêve tourne à l’obsession.

Pourquoi est-ce que je n’arrête pas la pilule tout de suite pour m’atteler à la fabrication de ce petit être tant rêvé ? Parce que mon médecin m’a dit de ne pas le faire. Enfin, j’exagère : elle m’a très fortement déconseillé de tomber enceinte. Il y a peu, j’ai découvert que j’étais très certainement porteuse du gène de l’hémophilie A. Cette nouvelle a chamboulé ma vie, et surtout reporté notre projet bébé.

Pourquoi ? Parce qu’il y a une chance sur deux pour que je transmette l’hémophilie A à un fils. Il est donc préférable de savoir de quelle mutation génétique je suis porteuse avant de lancer une grossesse, afin de connaître sa gravité et de savoir si notre bébé est porteur de la maladie grâce à un diagnostic prénatal.

Comment j’ai su que j’étais porteuse de cette maladie ?

C’est une longue histoire… mais je te la raconte quand même !

À 3 ans, il est question qu’on m’opère de végétations. Avant cette opération, j’ai droit à quelques examens de routine, dont des examens sanguins. On me diagnostique alors une maladie de Willebrand. Les médecins expliquent à mes parents que j’ai une déficience en facteur Willebrand et en facteur VIII de la coagulation, avec pour conséquence une mauvaise coagulation sanguine. Je ne me fais finalement pas opérer.

Après ça, il ne se passe pas grand-chose. Je vis mon enfance et mon adolescence tout à fait normalement. Je ne suis pas suivie pour cette maladie (à tort ou à raison, on ne sait pas vraiment), et à part des règles abondantes et quelques saignements de nez (bien réduits grâce à une cautérisation), je n’ai pas de gêne particulière au quotidien.

Le mariage approchant, je commence à ressentir une envie bien plus forte et plus profonde, mais nous restons sur notre plan initial : attendre que le mariage soit passé.

Entre-temps, ma meilleure amie a son deuxième fils. Mon désir d’enfant grandit encore un peu en moi…
De temps en temps, je traîne sur des blogs de grossesse ou de mamans (coucou Dans Ma Tribu) et le lundi (mon jour de congé), je regarde « Les Maternelles ».

Un jour, cette émission traite du vaste sujet de la péridurale. Les journalistes disent qu’elle est parfois interdite, notamment en cas de souci de coagulation… Mince. Je n’aurai donc pas droit à la péridurale ? Ce n’est pas très grave, mais peut-être qu’il y a d’autres choses comme ça que je devrais savoir sur ma maladie avant d’envisager une grossesse… Ça tombe bien, j’ai besoin de faire un bilan gynécologique et un frottis. Je poserai mes questions à ce moment-là.

Lors de ce rendez-vous avec une sage-femme, nous évoquons mes antécédents et mon désir d’enfant. Pour elle, il n’y a pas de souci particulier à commencer une grossesse avec ma maladie, je devrai seulement me passer de la fameuse péridurale, et éventuellement accoucher dans une maternité de niveau 3, en cas de complications. Elle me conseille d’aller voir un hématologue à l’hôpital Beclère où elle travaille, pour discuter de tout ça dans le détail.

Deux mois plus tard, c’est enfin le jour de mon rendez-vous. J’y vais tout à fait confiante. Sauf que celui-ci ne se passe pas du tout comme prévu…

L’hématologue pense que le diagnostic posé il y a vingt-trois ans est faux. Elle commence par me dire que je n’ai rien du tout, et que mon taux bas en facteurs de coagulation est dû à mon groupe sanguin O. Ah ! Tant mieux ! Mais après réflexion, en se basant sur ma carte d’hémostase et de vieilles analyses, elle me dit que finalement, je serais plutôt conductrice d’hémophilie A.

Elle enchaîne en m’expliquant que si je suis porteuse du gène de l’hémophilie A, je risque de le transmettre à mon enfant (qui déclarera la maladie ou non, en fonction de son sexe). Elle me parle alors de cette maladie, d’analyse génétique, de diagnostic prénatal, d’amniocentèse, de FIV avec sélection génétique, d’interruption de grossesse… Elle me balance toutes ces informations sans ménagement. Tout ce qu’elle me dit se mélange complètement dans ma tête. Je comprends ce qu’elle dit, mais je n’arrive pas à intégrer qu’on parle de moi…

Pour elle, il y a donc trois possibilités :

Elle m’envoie au laboratoire de l’hôpital pour des analyses, qui lui permettront de poser un diagnostic. Enfin, c’est ce qu’elle me dit, car dans les faits, elle ne connaît pas grand-chose à ces maladies… Et elle ne posera jamais de diagnostic.

Je ne m’en rends pas encore compte, mais je viens d’entrer dans une longue période d’attente. Six longs mois rythmés par des rendez-vous avec trois hématologues différents, des lettres de médecins perdus face à mes résultats, des appels téléphoniques aux secrétaires pour tenter d’avoir des réponses, pas mal de prises de sang, et beaucoup beaucoup de stress…

Le diagnostic

Mi-janvier, j’ai enfin un début de réponse : je n’ai pas la maladie de Willebrand. Cette fois, le diagnostic est (quasi) certain : je suis conductrice d’hémophilie A.

La bonne nouvelle ? Je suis enfin envoyée dans le bon hôpital. J’ai enfin rendez-vous avec une hématologue professionnelle, à l’écoute, et réellement disposée à trouver ce que j’ai. Je vais enfin avoir des réponses ! Enfin, pas tout de suite…

Lors de ce rendez-vous, ma nouvelle hématologue prend le temps de tout nous expliquer. Et en premier lieu, en quoi consiste l’analyse génétique. Je te retranscris ses mots très clairs :

« Chercher la mutation responsable d’une hémophilie, c’est comme chercher une faute de frappe dans une encyclopédie de mille deux cents volumes… Parfois, nous tombons tout de suite dessus, parfois la faute est dans le dernier livre que nous ouvrons. Même avec les technologies actuelles, toute cette recherche peut prendre jusqu’à un an… Lorsque nous aurons trouvé la mutation, nous la comparerons à toutes les mutations connues de l’hémophilie, grâce à une banque de données mondiale. Nous saurons alors si c’est une mutation qui conduit à une hémophilie sévère, modérée ou mineure. »

Elle ajoute que dans 5% des cas d’hémophilie, la mutation est introuvable. On ne peut alors rien prévoir en cas de grossesse. Il faudra juste « être prêts », que ce soit nous ou l’équipe médicale.

C’est le moment que mon corps choisit pour évacuer tout le stress accumulé : je me mets à pleurer à chaudes larmes. Je pleure de soulagement, car on commence enfin l’analyse génétique qui me permettra de savoir ce que j’ai. Mais aussi de tristesse, à l’idée de devoir attendre encore un an pour commencer les essais bébé. Et enfin, de peur qu’on ne trouve pas la mutation. L’idée que nous ne saurons peut-être pas si notre enfant est malade durant la grossesse me terrorise.

Elle nous donne aussi très clairement les quelques infos que j’avais déjà lues sur Internet :

Elle nous explique que le nombre d’interruptions de grossesse dues à l’hémophilie a beaucoup baissé en France, grâce à l’avancée des traitements et à l’efficacité de la prise en charge des malades, mais que seuls les parents peuvent décider s’ils souhaitent poursuivre une grossesse avec un enfant hémophile. Quelle que sera notre décision, nous ne serons pas jugés par l’équipe médicale. Dans tous les cas, nous serons suivis par l’hôpital.

Elle nous parle enfin de la vie d’un hémophile : son enfance et sa vie d’adulte. Elle nous explique que le principal souci d’un hémophile, ce sont les hémorragies internes, notamment les hémarthroses (les hémorragies à l’intérieur des articulations). Elles sont douloureuses et gênent la mobilité des articulations. Mal traitées, elles créent de l’arthrose précoce.

Pour éviter les hémarthroses et les hématomes, le malade doit s’administrer par voie intraveineuse des concentrés de facteur VIII. Dans un premier temps, c’est à l’hôpital que les injections sont réalisées, ensuite, c’est aux parents de les faire à l’enfant, et à l’adolescence, le malade les fait lui-même. Elle conclut en nous disant qu’aujourd’hui, l’espérance de vie d’un hémophile est la même que celle d’un non-hémophile…

Elle nous donne l’adresse mail du secrétariat (que nous pouvons utiliser si nous avons la moindre question) et une ordonnance pour que mon frère fasse une analyse sanguine, et elle promet de nous recontacter dès qu’elle aura du nouveau sur l’analyse génétique.

Voilà où nous en sommes aujourd’hui.

Avec Chéri, nous sortons de ce rendez-vous dans un état d’esprit assez différent : je suis dévastée, il est rassuré. Je vis cette situation beaucoup plus mal que lui.

Chéri a la capacité de trier ses pensées. Il arrive à ne pas penser à quelque chose si ça le fait souffrir, moi pas. J’admire cette qualité, mais en même temps, je la déteste, car elle me donne parfois l’impression qu’il s’en fiche ou qu’il ne se rend pas compte des conséquences possibles.

Pour ma part, je m’imagine tous les scénarios. J’essaie de savoir si j’aurai la force de caractère d’accueillir un enfant malade. Je me questionne beaucoup sur la culpabilité que je pourrais ressentir : la culpabilité d’interrompre une grossesse en cas de bébé hémophile, ou bien la culpabilité d’avoir offert à mon fils une vie où il ne pourra pas jouer au foot avec ses copains.

C’est vrai, l’hémophilie n’est pas une maladie mortelle. Peut-être que mon enfant aura un jour un cancer, ou je ne sais quoi d’autre de bien plus grave… Mais cette maladie est malgré tout très contraignante…

Tu l’auras compris, nous ne savons pas encore si, en cas d’hémophilie sévère, nous choisirons de garder un bébé malade… Je ne souhaite pas entrer dans le débat, je voulais juste partager avec toi mon expérience, au cas où tu vives une situation similaire. Si tu souhaites échanger avec moi sur le sujet de l’hémophilie, ce sera avec plaisir.

Et toi ? Tu vis avec une maladie génétique ? Y a-t-il des conséquences pour tes (éventuels) enfants ? Quelles décisions as-tu prises dans ce cas ? Viens en discuter…

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